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L’âne selon Buffon

L’ ÂNE vu par le grand naturaliste Buffon

Article mis en ligne le 28 octobre 2015
dernière modification le 26 octobre 2021

par christian
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Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, né à Montbard le 7 septembre 1707 et mort à Paris le 16 avril 1788, est un naturaliste, mathématicien, biologiste, cosmologiste et écrivain français. Ses théories ont influencé deux générations de naturalistes, parmi lesquels notamment Jean-Baptiste de Lamarck et Charles Darwin. En 1734, il entre à l’Académie des sciences et en 1753 à l’Académie française et il sera membre de toutes les grandes académies européennes. Buffon entend faire œuvre de vulgarisation et souhaite être lu et compris par le plus grand nombre. Auteur de L’Histoire naturelle (Trente-six volumes de son vivant et huit ensuite, il remportera un succès considérable, rivalisant avec l’Encyclopédie de Diderot.

L’âne vu par ce grand esprit, un des plus brillant de son temps :

 Carte d’identité

Embranchement : Vertébrés
Classe : MammifèresFamille : Equidés
Super-ordre : Ongulés
Ordre : Périssodactyles
Genre : Equus
Espèce : asinus

 Caractéristiques

A considérer cet animal, même avec des yeux attentifs et dans un assez grand détail, il paraît n’ être qu’ un cheval dégénéré. La parfaite similitude de conformation dans le cerveau, les poumons, l’ estomac, le conduit intestinal, le cœur, le foie, les autres viscères, et la grande ressemblance du corps, des jambes, des pieds et du squelette en entier, semblent fonder cette opinion. On pourrait attribuer les légères différences qui se trouvent entre ces deux animaux, à l’influence très ancienne du climat, de la nourriture, et à la succession fortuite de plusieurs générations de petits chevaux sauvages à demi dégénérés, qui peu à peu auraient encore dégénéré davantage, se seraient ensuite dégradés autant qu’ il est possible, et auraient à la fin produit à nos yeux une espèce nouvelle et constante, ou plutôt une succession d’ individus semblables, tous constamment viciés de la même façon, et assez différents des chevaux pour pouvoir être regardés comme une autre espèce. Ce qui paraît favoriser cette idée, c’ est que les chevaux varient beaucoup plus que les ânes par la couleur de leur poil, qu’ ils sont par conséquent plus anciennement domestiques, puisque tous les animaux domestiques varient par la couleur beaucoup plus que les animaux sauvages de la même espèce ; que la plupart des chevaux sauvages dont parlent les voyageurs, sont de petite taille, et ont, comme les ânes, le poil gris, la queue nue, hérissée à l’ extrémité, et qu’ il y a des chevaux sauvages et même des chevaux domestiques qui ont la raie noire sur le dos, et d’ autres caractères qui les rapprochent encore des ânes sauvages et domestiques. D’autre côté, si l’ on considère les différences du tempérament, du naturel, des moeurs, du résultat, en un mot, de l’organisation de ces deux animaux, et surtout l’impossibilité de les mêler pour en faire une espèce commune, ou même une espèce intermédiaire qui puisse se renouveler, on paraît encore mieux fondé à croire que ces deux animaux sont chacun d’une espèce aussi ancienne l’une que l’ autre, et originairement aussi essentiellement différentes qu’elles le sont aujourd’hui, d’autant plus que l’âne ne laisse pas de différer matériellement du cheval par la petitesse de la taille, la grosseur de la tête, la longueur des oreilles, la dureté de la peau, la nudité de la queue, la forme de la croupe ; et aussi par les dimensions des parties qui en sont voisines, par la voix, l’ appétit, la manière de boire, etc... L’âne et le cheval viennent-ils donc originairement de la même souche ? Sont-ils, comme le disent les nomenclateurs, de la même famille ? Ou ne sont-ils pas, ou n’ ont-ils pas toujours été des animaux différents ? Cette question, dont les physiciens sentiront bien la généralité, la difficulté, les conséquences, et que nous avons cru devoir traiter dans cet article, parce qu’ elle se présente pour la première fois, tient à la production des êtres de plus près qu’aucun autre, et demande, pour être éclaircie, que nous considérions la nature sous un nouveau point de vue. Si, dans l’immense variété que nous présentent tous les êtres animés qui peuplent l’univers, nous choisissons un animal, ou même le corps de l’homme pour servir de base à nos connaissances, et y rapporter, par la voie de la comparaison, les autres êtres organisés, nous trouverons que, quoique tous ces êtres existent solitairement, et que tous varient par des différences graduées à l’ infini, il existe en même temps un dessein primitif et général qu’ on peut suivre très-loin, et dont les dégradations sont bien plus lentes que celles des figures et des autres rapports apparents ; car sans parler des organes de la digestion, de la circulation et de la génération, qui appartiennent à tous les animaux, et sans lesquels l’animal cesserait d’être animal et ne pourrait ni subsister ni se reproduire, il y a dans les parties mêmes qui contribuent le plus à la variété de la forme extérieure, une prodigieuse ressemblance qui nous rappelle nécessairement l’idée d’un premier dessein, sur lequel tout semble avoir été conçu. Le corps du cheval, par exemple, qui du premier coup d’ oeil paraît si différent du corps de l’homme lorsqu’on vient à le comparer en détail et partie par partie, au lieu de surprendre par la différence, n’ étonne plus que par la ressemblance singulière et presque complète qu’ on y trouve. En effet, prenez le squelette de l’ homme, inclinez les os du bassin, accourcissez les os des cuisses, des jambes et des bras, allongez ceux des pieds et des mains, soudez ensemble les phalanges, allongez les mâchoires en raccourcissant l’ os frontal, et enfin allongez aussi l’ épine du dos, ce squelette cessera de représenter la dépouille d’un homme, et sera le squelette d’ un cheval ; car on peut aisément supposer qu’en allongeant l’épine du dos et les mâchoires, on augmente en même temps le nombre des vertèbres, des côtes et des dents, et ce n’ est en effet que par le nombre de ces os, qu’on peut regarder comme accessoires, et par l’allongement le raccourcissement ou la jonction des autres, que la charpente du corps de cet animal diffère de la charpente du corps humain. On vient de voir, dans la description du cheval, ces faits trop bien établis pour pouvoir en douter ; mais pour suivre ces rapports encore plus loin, que l’on considère séparément quelques parties essentielles à la forme, les côtes, par exemple, on les trouvera dans tous les quadrupèdes, dans les oiseaux, dans les poissons, et on en suivra les vestiges jusque dans la tortue, où elles paraissent encore dessinées par les sillons qui sont sous son écaille. Que l’ on considère, comme l’ a remarqué m.. Daubenton, que le pied d’ un cheval, en apparence si différent de la main de l’ homme, est cependant composé des mêmes os, et que nous avons à l’ extrémité de chacun de nos doigts le même osselet en fer à cheval qui termine le pied de cet animal : et l’on jugera si cette ressemblance cachée n’ est pas plus merveilleuse que les différences apparentes ; si cette conformité constante et ce dessein suivi de l’homme aux quadrupèdes, des quadrupèdes aux cétacés, des cétacés aux oiseaux, des oiseaux aux reptiles, des reptiles aux poissons, etc.., dans lesquels les parties essentielles, comme le cœur, les intestins, l’épine du dos, les sens, etc.., se trouvent toujours, ne semblent pas indiquer qu’ en créant les animaux, l’être suprême n’ a voulu employer qu’ une idée, et la varier en même temps de toutes les manières possibles, afin que l’homme pût admirer également, et la magnificence de l’exécution, et la simplicité du dessein. Dans ce point de vue, non-seulement l’ âne et le cheval, mais même l’homme, le singe, les quadrupèdes et tous les animaux, pourraient être regardés comme ne faisant que la même famille ; mais en doit-on conclure que dans cette grande et nombreuse famille, que Dieu seul a conçue et tirée du néant, il y ait d’autres petites familles projetées par la nature et produites par le temps, dont les unes ne seraient composées que de deux individus, comme le cheval et l’âne, d’autres de plusieurs individus, comme celle de la belette, de la martre, du furet, de la fouine, etc.. ; et de même que dans les végétaux il y ait des familles de dix, vingt, trente, etc.., plantes ? Si ces familles existaient en effet, elles n’ auraient pu se former que par le mélange, la variation successive et la dégénération des espèces originaires ; et si on admet une fois qu’ il y ait des familles dans les plantes et dans les animaux, que l’ âne soit de la famille du cheval, et qu’ il a dégénéré, on pourra dire également que le singe est de la famille de l’ homme ; que c’est un homme dégénéré ; que l’homme et le singe ont eu une origine commune comme le cheval et l’âne ; que chaque famille, tant dans les animaux que dans les végétaux, n’a eu qu’ une seule souche, et même que tous les animaux sont venus d’un seul animal qui, dans la succession des temps, a produit, en se perfectionnant et en dégénérant, toutes les races des autres animaux. Les naturalistes, qui établissent si légèrement des familles dans les animaux et dans les végétaux, ne paraissent pas avoir assez senti toute l’ étendue de ces conséquences, qui réduiraient le produit immédiat de la création à un nombre d’individus aussi petit que l’on voudrait ; car s’il était une fois prouvé qu’ on pût établir ces familles avec raison ; s’il était acquis que dans les animaux, et même dans les végétaux, il y eût je ne dis pas plusieurs espèces, mais une seule qui eût été produite par la dégénération d’une autre espèce ; s’il était vrai que l’ âne ne fût qu’ un cheval dégénéré, il n’ y aurait plus de bornes à la puissance de la nature, et on n’aurait pas tort de supposer que d’un seul être elle a su tirer avec le temps tous les autres êtres organisés. Mais non, il est certain par la révélation que tous les animaux ont également participé à la grâce de la création ; que les deux premiers de chaque espèce et de toutes les espèces sont sortis tout formés des mains du créateur ; et on doit croire qu’ ils étaient tels alors à peu près qu’ ils nous sont aujourd’hui représentés par leurs descendants : d’ ailleurs, depuis qu’on observe la nature depuis le temps d’Aristote jusqu’au nôtre, on n’ a pas vu paraître d’espèces nouvelles, malgré le mouvement rapide qui entraîne, amoncelle ou dissipe les parties de la matière ; malgré le nombre infini des combinaisons qui ont dû se faire pendant ces vingt siècles ; malgré les accouplements fortuits ou forcés des animaux d’espèces éloignées ou voisines, dont il n’a jamais résulté que des individus viciés et stériles, et qui n’ont pu faire souche pour de nouvelles générations. La ressemblance, tant extérieure qu’intérieure, fût-elle dans quelques animaux encore plus grande qu’ elle ne l’est dans le cheval et dans l’ âne, ne doit pas nous porter à confondre ces animaux dans la même famille, non plus qu’à leur donner une commune origine ; car s’ils venaient de la même souche, s’ils étaient en effet de la même famille, on pourrait les rapprocher, les allier de nouveau, et défaire avec le temps ce que le temps aurait fait. Il faut de plus considérer que, quoique la marche de la nature se fasse par nuances et par degrés, souvent imperceptibles, les intervalles de ces degrés ou de ces nuances ne sont pas tous égaux à beaucoup près ; que plus les espèces sont élevées, moins elles sont nombreuses, et plus les intervalles des nuances qui les séparent y sont grands ; que les petites espèces au contraire sont très-nombreuses, et en même temps plus voisines les unes des autres, en sorte qu’ on est d’ autant plus tenté de les confondre ensemble dans une même famille, qu’ elles nous embarrassent, nous fatiguent davantage par leur multitude et par leurs petites différences, dont nous sommes obligés de nous charger la mémoire. Mais il ne faut pas oublier que ces familles sont notre ouvrage, que nous ne les avons faites que pour le soulagement de notre esprit ; que s’ il ne peut comprendre la suite réelle de tous les êtres, c’ est notre faute, et non pas celle de la nature, qui ne connaît point ces prétendues familles, et ne contient en effet que des individus. Un individu est un être à part, isolé, détaché, et qui n’a rien de commun avec les autres êtres, sinon qu’ il leur ressemble ou bien qu’il en diffère : tous les individus semblables qui existent sur la surface de la terre sont regardés comme composant l’espèce de ces individus ; cependant ce n’est ni le nombre ni la collection des individus semblables qui fait l’espèce, c’ est la succession constante et le renouvellement non interrompu de ces individus qui la constituent ; car un être qui durerait toujours ne ferait pas une espèce, non plus qu’un million d’ êtres semblables qui dureraient aussi toujours. L’espèce est donc un mot abstrait et général, dont la chose n’ existe qu’ en considérant la nature dans la succession des temps, et dans la destruction constante et le renouvellement tout aussi constant des êtres. C’est en comparant la nature d’aujourd’hui à celle des autres temps, et les individus actuels aux individus passés, que nous avons pris une idée nette de ce qu’ on appelle espèce, et la comparaison du nombre ou de la ressemblance des individus n’ est qu’une idée accessoire, et souvent indépendante de la première ; car l’âne ressemble au cheval plus que le barbet au lévrier, et cependant le barbet et le lévrier ne font qu’ une même espèce, puisqu’ ils produisent ensemble des individus qui peuvent eux-mêmes en produire d’autres, au lieu que le cheval et l’âne sont de différentes espèces, puisqu’ ils ne produisent ensemble que des individus viciés et inféconds. C’est donc dans la diversité caractéristique des espèces que les intervalles des nuances de la nature sont le plus sensibles et le mieux marqués ; on pourrait même dire que ces intervalles entre les espèces sont les plus égaux et les moins variables de tous, puisqu’ on peut toujours tirer une ligne de séparation entre deux espèces, c’ est-à-dire entre deux successions d’ individus qui se reproduisent et ne peuvent se mêler, comme on peut aussi réunir en une seule espèce deux successions d’individus qui se reproduisent en se mêlant. Ce point est le plus fixe que nous ayons en histoire naturelle ; toutes les autres ressemblances et toutes les autres différences que l’on pourrait saisir dans la comparaison des êtres, ne seraient, ni si constantes, ni si réelles, ni si certaines ; ces intervalles seront aussi les seules lignes de séparation que l’on trouvera dans notre ouvrage ; nous ne diviserons pas les êtres autrement qu’ ils le sont en effet ; chaque espèce, chaque succession d’individus qui se reproduisent et ne peuvent se mêler, sera considérée à part et traitée séparément, et nous ne nous servirons des familles, des genres, des ordres et des classes, pas plus que ne s’en sert la nature. L’espèce n’ étant donc autre chose qu’une succession constante d’ individus semblables et qui se reproduisent, il est clair que cette dénomination ne doit s’étendre qu’ aux animaux et aux végétaux, et que c’est par un abus des termes ou des idées que les nomenclateurs l’ont employée pour désigner les différentes sortes de minéraux : on ne doit donc pas regarder le fer comme une espèce, et le plomb comme une autre espèce, mais seulement comme deux métaux différents. Mais pour en revenir à la dégénération des êtres, et particulièrement à celle des animaux, observons et examinons encore de plus près les mouvements de la nature dans les variétés qu’ elle nous offre ; et comme l’espèce humaine nous est la mieux connue, voyons jusqu’ où s’étendent ces mouvements de variation. Les hommes diffèrent du blanc au noir par la couleur, du double au simple par la hauteur de la taille, la grosseur, la légèreté, la force, etc.., et du tout au rien pour l’ esprit ; mais cette dernière qualité n’ appartenant point à la matière, ne doit point être ici considérée : les autres sont les variations ordinaires de la nature qui viennent de l’ influence du climat et de la nourriture ; mais ces différences de couleur et de dimension dans la taille n’ empêchent pas que le nègre et le blanc, le Lapon et le Patagon, le géant et le nain, ne produisent ensemble des individus qui peuvent eux-mêmes se reproduire, et que par conséquent ces hommes, si différents en apparence, ne soient tous d’ une seule et même espèce, puisque cette reproduction constante est ce qui constitue l’ espèce. Après ces variations générales, il y en a d’ autres qui sont plus particulières et qui ne laissent pas de se perpétuer, comme les énormes jambes des hommes qu’ on appelle de la race de saint Thomas dans l’ île de Ceylan, les yeux rouges et les cheveux blancs des Dariens et des Chacrelas, les six doigts aux mains et aux pieds dans certaines familles, etc... Ces variétés singulières sont des défauts ou des excès accidentels qui, s’ étant d’ abord trouvés dans quelques individus, se sont ensuite propagés de race en race, comme les autres vices et maladies héréditaires ; mais ces différences, quoique constantes, ne doivent être regardées que comme des variétés individuelles qui ne séparent pas ces individus de leur espèce, puisque les races extraordinaires de ces hommes à grosses jambes ou à six doigts peuvent se mêler avec la race ordinaire, et produire des individus qui se reproduisent eux-mêmes. On doit dire la même chose de toutes les autres difformités ou monstruosités qui se communiquent des pères et mères aux enfants : voilà jusqu’ où s’ étendent les erreurs de la nature ; voilà les plus grandes limites de ses variétés dans l’ homme ; et s’ il y a des individus qui dégénèrent encore davantage, ces individus ne reproduisant rien, n’ altèrent ni la constance ni l’ unité de l’ espèce : ainsi il n’ y a dans l’ homme qu’ une seule et même espèce : et quoique cette espèce soit peut-être la plus nombreuse et la plus abondante en individus, et en même temps la plus inconséquente et la plus irrégulière dans toutes ses actions, on ne voit pas que cette prodigieuse diversité de mouvement, de nourriture, de climat, et de tant d’ autres combinaisons que l’ on peut supposer, ait produit des êtres assez différents des autres pour faire de nouvelles souches, et en même temps assez semblables à nous pour ne pouvoir nier de leur avoir appartenu. Si le nègre et le blanc ne pouvaient produire ensemble, si même leur production demeurait inféconde, si le mulâtre était un vrai mulet, il y aurait alors deux espèces bien distinctes, le nègre serait à l’ homme ce que l’ âne est au cheval, ou plutôt si le blanc était homme, le nègre ne serait plus un homme, ce serait un animal à part, comme le singe, et nous serions en droit de penser que le blanc et le nègre n’ auraient point eu une origine commune ; mais cette supposition même est démentie par le fait, et puisque tous les hommes peuvent communiquer et produire ensemble, tous les hommes viennent de la même souche et sont de la même famille. Que deux individus ne puissent produire ensemble, il ne faut pour cela que quelques légères disconvenances dans le tempérament, ou quelque défaut accidentel dans les organes de la génération de l’ un ou de l’ autre de ces deux individus ; que deux individus de différentes espèces, et que l’ on joint ensemble, produisent d’ autres individus qui, ne ressemblant ni à l’ un ni à l’ autre, ne ressemblent à rien de fixe, et ne peuvent par conséquent rien produire de semblable à eux, il ne faut pour cela qu’ un certain degré de convenance entre la forme du corps et les organes de la génération de ces animaux différents ; mais quel nombre immense et peut-être infini de combinaisons ne faudrait-il pas pour pouvoir seulement supposer que deux animaux, mâle et femelle, d’ une certaine espèce, ont non-seulement assez dégénéré pour n’ être plus de cette espèce, c’ est-à-dire, pour ne pouvoir plus produire avec ceux auxquels ils étaient semblables, mais encore dégénéré tous deux précisément au même point, et à ce point nécessaire pour ne pouvoir produire qu’ ensemble ! Et ensuite quelle autre prodigieuse immensité de combinaisons ne faudrait-il pas encore pour que cette nouvelle production de ces deux animaux dégénérés suivît exactement les mêmes lois qui s’ observent dans la production des animaux parfaits ! Car un animal dégénéré est lui-même une production viciée ; et comment se pourrait-il qu’ une origine viciée, qu’ une dépravation, une négation, pût faire souche, et non-seulement produire une succession d’ êtres constants, mais même les produire de la même façon et suivant les mêmes lois que se reproduisent en effet les animaux dont l’ origine est pure ? Quoiqu’ on ne puisse donc pas démontrer que la production d’ une espèce par la dégénération soit une chose impossible à la nature, le nombre des probabilités contraires est si énorme, que philosophiquement même on n’ en peut guère douter ; car si quelque espèce a été produite par la dégénération d’ une autre, si l’ espèce de l’ âne vient de l’ espèce du cheval, cela n’ a pu se faire que successivement et par nuances ; il y aurait eu entre le cheval et l’ âne un grand nombre d’ animaux intermédiaires, dont les premiers se seraient peu à peu éloignés de la nature du cheval, et les derniers se seraient approchés peu à peu de celle de l’ âne ; et pourquoi ne verrions-nous pas aujourd’hui les représentants, les descendants de ces espèces intermédiaires ? Pourquoi n’ en est-il demeuré que les deux extrêmes ? L’ âne est donc un âne, et n’ est point un cheval dégénéré, un cheval à queue nue ; il n’ est ni étranger, ni intrus, ni bâtard ; il a, comme tous les autres animaux, sa famille, son espèce et son rang : son sang est pur, et quoique sa noblesse soit moins illustre, elle est tout aussi bonne, tout aussi ancienne que celle du cheval ; pourquoi donc tant de mépris pour cet animal, si bon, si patient, si sobre, si utile ? Les hommes mépriseraient-ils jusque dans les animaux, ceux qui les servent trop bien et à trop peu de frais ? On donne au cheval de l’ éducation, on le soigne, on l’ instruit, on l’ exerce, tandis que l’ âne, abandonné à la grossièreté du dernier des valets, ou à la malice des enfants, bien loin d’ acquérir, ne peut que perdre par son éducation : et s’ il n’ avait pas un grand fonds de bonnes qualités, il les perdrait en effet par la manière dont on le traite : il est le jouet, le plastron, le bardeau des rustres qui le conduisent le bâton à la main, qui le frappent, le surchargent, l’ excèdent sans prcaution, sans ménagement. On ne fait pas attention que l’ âne serait par lui-même, et pour nous, le premier, le plus beau, le mieux fait, le plus distingué des animaux, si dans le monde il n’ y avait point de cheval ; il est le second au lieu d’ être le premier, et par cela seul il semble n’ être plus rien : c’ est la comparaison qui le dégrade ; on le regarde, on le juge, non pas en lui-même, mais relativement au cheval ; on oublie qu’ il est âne, qu’ il a toutes les qualités de sa nature, tous les dons attachés à son espèce, et on ne pense qu’ à la figure et aux qualités du cheval, qui lui manquent, et qu’ il ne doit pas avoir. Il est de son naturel aussi humble, aussi patient, aussi tranquille, que le cheval est fier, ardent, impétueux ; il souffre avec constance, et peut-être avec courage, les châtiments et les coups ; il est sobre, et sur la quantité, et sur la qualité de la nourriture ; il se contente des herbes les plus dures et les plus désagréables, que le cheval et les autres animaux lui laissent et dédaignent ; il est fort délicat sur l’ eau, il ne veut boire que de la plus claire et aux ruisseaux qui lui sont connus : il boit aussi sobrement qu’ il mange, et n’ enfonce point du tout son nez dans l’ eau par la peur que lui fait, dit-on, l’ ombre de ses oreilles : comme l’ on ne prend pas la peine de l’ étriller, il se roule souvent sur le gazon, sur les chardons, sur la fougère ; et sans se soucier beaucoup de ce qu’ on lui fait porter, il se couche pour se rouler toutes les fois qu’ il le peut, et semble par là reprocher à son maître le peu de soin qu’ on prend de lui ; car il ne se vautre pas comme le cheval dans la fange et dans l’ eau, il craint même de se mouiller les pieds, et se détourne pour éviter la boue ; aussi a-t-il la jambe plus sèche et plus nette que le cheval ; il est susceptible d’ éducation, et l’ on en a vu d’ assez bien dressés pour faire curiosité de spectacle. Dans la première jeunesse il est gai, et même assez joli ; il a de la légèreté et de la gentillesse mais il la perd bientôt, soit par l’ âge, soit par les mauvais traitements, et il devient lent, indocile et têtu ; il n’ est ardent que pour le plaisir, ou plutôt il en est furieux au point que rien ne peut le retenir, et que l’ on en a vu s’ excéder et mourir quelques instants après ; et comme il aime avec une espèce de fureur, il a aussi pour sa progéniture le plus profond attachement. Pline nous assure que lorsqu’ on sépare la mère de son petit, elle passe à travers les flammes pour aller le rejoindre ; il s’ attache aussi à son maître, quoiqu’ il en soit ordinairement maltraité ; il le sent de loin et le distingue de tous les autres hommes ; il reconnaît aussi les lieux qu’ il a coutume d’ habiter, les chemins qu’ il a fréquentés ; il a les yeux bons, l’ odorat admirable, surtout pour les corpuscules de l’ ânesse, l’ oreille excellente, ce qui a encore contribué à le faire mettre au nombre des animaux timides, qui ont tous, à ce qu’ on prétend, l’ ouïe très-fine et les oreilles longues : lorsqu’ on le surcharge, il le marque en inclinant la tête et baissant les oreilles ; lorsqu’ on le tourmente trop, il ouvre la bouche et retire les lèvres d’ une manière très-désagréable, ce qui lui donne l’ air moqueur et dérisoire ; si on lui couvre les yeux, il reste immobile, et lorsqu’ il est couché sur le côté, si on lui place la tête de manière que l’ oeil soit appuyé sur la terre, et qu’ on couvre l’ autre oeil avec une pierre ou un morceau de bois, il restera dans cette situation sans faire aucun mouvement et sans se secouer pour se relever : il marche, il trotte et il galope comme le cheval, mais tous ces mouvements sont petits et beaucoup plus lents ; quoiqu’ il puisse d’ abord courir avec assez de vitesse, il ne peut fournir qu’ une petite carrière, pendant un petit espace de temps ; et quelque allure qu’ il prenne, si on le presse il est bientôt rendu. Le cheval hennit et l’ âne brait, ce qui se fait par un grand cri très-long, très-désagréable, et discordant par dissonances alternatives de l’ aigu au grave et du grave à l’ aigu ; ordinairement il ne crie que lorsqu’ il est pressé d’ amour ou d’ appétit ; l’ ânesse a la voix plus claire et plus perçante ; l’ âne qu’ on fait hongre ne brait qu’ à basse voix, et quoiqu’ il paraisse faire autant d’ efforts et les mêmes mouvements de la gorge, son cri ne se fait pas entendre de loin. De tous les animaux couverts de poil, l’âne est le moins sujet à la vermine : jamais il n’ a de poux, ce qui vient apparemment de la dureté et de la sécheresse de sa peau, qui est en effet plus dure que celle de la plupart des autres quadrupèdes ; et c’est par la même raison qu’ il est bien moins sensible que le cheval au fouet et à la piqûre des mouches. A deux ans et demi les premières dents incisives à côté des premières tombent aussi et se renouvellent dans le même temps et dans le même ordre que celles du cheval : on connaît aussi l’ âge par les dents ; les troisièmes incisives de chaque côté le marquent comme dans le cheval. Dès l’ âge de deux ans l’ âne est en état d’ engendrer, la femelle est encore plus précoce que le mâle, et elle est tout aussi lascive ; c’ est par cette raison qu’ elle est très-peu féconde ; elle rejette au dehors la liqueur qu’ elle vient de recevoir dans l’ accouplement, à moins qu’ on n’ ait soin de lui ôter promptement la sensation du plaisir, en lui donnant des coups pour calmer la suite des convulsions et des mouvements amoureux ; sans cette précaution elle ne retiendrait que très-rarement : le temps le plus ordinaire de la chaleur est le mois de mai et celui de juin : lorsqu’ elle est pleine, la chaleur cesse bientôt ; et dans le dixième mois, le lait paraît dans les mamelles. Elle met bas dans le douzième mois, et souvent il se trouve des morceaux solides dans la liqueur de l’ amnios, semblables à l’ hippomanès du poulain. Sept jours après l’ accouchement la chaleur se renouvelle, et l’ ânesse est en état de recevoir le mâle ; en sorte qu’ elle peut, pour ainsi dire, continuellement engendrer et nourrir. Elle ne produit qu’ un petit, et si rarement deux, qu’ à peine en a-t-on des exemples. Au bout de cinq ou six mois on peut sevrer l’ ânon, et cela est même nécessaire si la mère est pleine, pour qu’ elle puisse mieux nourrir son foetus. L’ âne étalon doit être choisi parmi les plus grands et les plus forts de son espèce ; il faut qu’ il ait au moins trois ans, et qu’ il n’ en passe pas neuf à dix ; qu’ il ait les jambes hautes, le corps étoffé, la tête élevée et légère, les yeux vifs, les naseaux gros, l’ encolure un peu longue, le poitrail large, les reins charnus, la côte large, la croupe plate, la queue courte, le poil luisant, doux au toucher et d’ un gris foncé. L’ âne, qui comme le cheval est trois ou quatre ans à croître, vit aussi comme lui vingt-cinq ou trente ans ; on prétend seulement que les femelles vivent ordinairement plus longtemps que les mâles ; mais cela ne vient peut-être que de ce qu’ étant souvent pleines, elles sont un peu plus ménagées, au lieu qu’ on excède continuellement les mâles de fatigues et de coups. Ils dorment moins que les chevaux, et ne se couchent pour dormir que quand ils sont excédés. L’ âne étalon dure aussi plus longtemps que le cheval étalon ; plus il est vieux, plus il paraît ardent ; et en général la santé de cet animal est bien plus ferme que celle du cheval ; il est moins délicat, et il n’ est pas sujet, à beaucoup près, à un aussi grand nombre de maladies ; les anciens mêmes ne lui en connaissaient guère d’ autres que celle de la morve, à laquelle il est, comme nous l’ avons dit, encore bien moins sujet que le cheval. Il y a parmi les ânes différentes races comme parmi les chevaux, mais que l’ on connaît moins, parce qu’ on ne les a ni soignés ni suivis avec la même attention ; seulement on ne peut guère douter que tous ne soient originaires des climats chauds. Aristote assure qu’ il n’ y en avait point de son temps en Scythie, ni dans les autres pays septentrionaux qui avoisinent la Scythie, ni même dans les Gaules, dont le climat, dit-il, ne laisse pas d’ être froid ; et il ajoute que le climat froid, ou les empêche de produire, ou les fait dégénérer, et que c’ est par cette dernière raison que dans l’ Illyrie, la Thrace et l’ Epire ils sont petits et faibles ; ils sont encore tels en France, quoiqu’ ils soient déjà assez anciennement naturalisés, et que le froid du climat soit bien diminué depuis deux mille ans par la quantité des forêts abattues et de marais desséchés ; mais ce qui paraît encore plus certain, c’ est qu’ ils sont nouveaux pour la Suède et pour les autres pays du nord ; ils paraissent être venus originairement d’ Arabie, et avoir passé d’ Arabie en égypte, d’ égypte en Grèce, de Grèce en Italie, d’ Italie en France, et ensuite en Allemagne, en Angleterre, et enfin en Suède, etc.., car ils sont en effet d’ autant moins forts et d’ autant plus petits, que les climats sont plus froids. Cette migration paraît assez bien prouvée par le rapport des voyageurs. Chardin dit « qu’ il y a deux sortes d’ ânes en Perse : les ânes du pays, qui sont lents et pesants, et dont on ne se sert que pour porter des fardeaux ; et une race d’ ânes d’ Arabie, qui sont de fort jolies bêtes et les premiers ânes du monde. Ils ont le poil poli, la tête haute, les pieds légers ; ils les lèvent avec action, marchant bien, et l’ on ne s’ en sert que pour montures ; les selles qu’ on leur met sont comme des bâts ronds et plats par-dessus : elles sont de drap ou de tapisserie avec les harnais et les étriers ; on s’ assied dessus, plus vers la croupe que vers le cou. Il y a de ces ânes qu’ on achète jusqu’ à quatre cents livres, et l’ on n’ en saurait avoir à moins de vingt-cinq pistoles ; on les panse comme des chevaux, mais on ne leur apprend autre chose qu’ à aller l’ amble, et l’ art de les y dresser est de leur attacher les jambes, celles de devant et celles de derrière du même côté, par deux cordes de coton qu’ on fait de la mesure du pas de l’ âne qui va l’ amble, et qu’ on suspend par une autre corde passée dans la sangle à l’ endroit de l’ étrier ; des espèces d’ écuyers les montent soir et matin et les exercent à cette allure ; on leur fend les naseaux afin de leur donner plus d’ haleine, et ils vont si vite, qu’ il faut galoper pour les suivre. » les Arabes, qui sont dans l’ habitude de conserver avec tant de soin et depuis si longtemps les races de leurs chevaux, prendraient-ils la même peine pour les ânes ? Ou plutôt cela ne semble-t-il pas prouver que le climat d’ Arabie est le premier et le meilleur climat pour les uns et pour les autres ? De là, ils ont passé en Barbarie, en égypte, où ils sont beaux et de grande taille, aussi bien que dans les climats excessivement chauds, comme aux Indes et en Guinée, où ils sont plus grands, plus forts et meilleurs que les chevaux du pays ; ils sont même en grand honneur à Maduré, où l’ une des plus considérables et des plus nobles tribus des Indes les révère particulièrement, parce qu’ ils croient que les âmes de toute la noblesse passent dans le corps des ânes ; enfin on trouve les ânes en plus grande quantité que les chevaux dans tous les pays méridionaux, depuis le Sénégal jusqu’ à la Chine ; on y trouve aussi des ânes sauvages plus communément que les chevaux sauvages. Les Latins, d’ après les Grecs, ont appelé l’ âne sauvage onager (onagre), qu’ il ne faut pas confondre, comme l’ ont fait quelques naturalistes et plusieurs voyageurs, avec le zèbre dont nous donnerons l’ histoire à part, parce que le zèbre est un animal d’ une espèce différente de celle de l’ âne. L’ onagre ou l’ âne sauvage n’ est point rayé comme le zèbre, et il n’ est pas à beaucoup près d’ une figure aussi élégante. On trouve des ânes sauvages dans quelques îles de l’ Archipel, et particulièrement dans celle de Cérigo : il y en a beaucoup dans les déserts de Lydie et de Numidie ; ils sont gris et courent si vite, qu’ il n’ y a que les chevaux barbes qui puissent les atteindre à la course ; lorsqu’ ils voient un homme, ils jettent un cri, font une ruade, s’ arrêtent, et ne fuient que lorsqu’ on les approche ; on les prend dans les piéges et dans les lacs de corde ; ils vont par troupes pâturer et boire ; on en mange la chair. Il y avait aussi du temps de Marmol, que je viens de citer, des ânes sauvages dans l’ île de Sardaigne, mais plus petits que ceux d’Afrique ; et Pietro della Valle dit avoir vu un âne sauvage à Bassora ; sa figure n’ était point différente de celle des ânes domestiques ; il était seulement d’ une couleur plus claire, et il avait, depuis la tête jusqu’ à la queue, une raie de poil blond ; il était aussi beaucoup plus vif et plus léger à la course que les ânes ordinaires. Olearius rapporte qu’un jour le roi de Perse le fit monter avec lui dans un petit bâtiment en forme de théâtre pour faire collation de fruits et de confitures ; qu’ après le repas on fit entrer trente-deux ânes sauvages sur lesquels le roi tira quelques coups de fusil et de flèche, et qu’il permit ensuite aux ambassadeurs et aux autres seigneurs de tirer ; que ce n’était pas un petit divertissement de voir ces ânes, chargés qu’ ils étaient quelquefois de plus de dix flèches, dont ils incommodaient et blessaient les autres quand ils se mêlaient avec eux, de sorte qu’ils se mettaient à se mordre et à se ruer les uns contre les autres d’une étrange façon ; et que quand on les eut tous abattus et couchés de rang devant le roi, on les envoya à Ispahan à la cuisine de la cour, les Persans faisant un si grand état de la chair de ces ânes sauvages, qu’ ils en ont fait un proverbe, etc... Mais il n’ y a pas apparence que ces trente-deux ânes fussent tous pris dans les forêts, et c’étaient probablement des ânes qu’on élevait dans de grands parcs pour avoir le plaisir de les chasser et de les manger. On n’ a pont trouvé d’ânes en Amérique, non plus que de chevaux, quoique le climat, surtout celui de l’Amérique méridionale, leur convienne autant qu’aucun autre ; ceux que les Espagnols y ont transportés d’ Europe, et qu’ ils ont abandonnés dans les grandes îles et dans le continent, y ont multiplié, et on y trouve en plusieurs endroits des ânes sauvages qui vont par troupes, et que l’on prend dans des piéges comme les chevaux sauvages. L’âne avec la jument produit les grands mulets ; le cheval avec l’ânesse produit les petits mulets, différents des premiers à plusieurs égards : mais nous nous réservons de traiter en particulier de la génération des mulets, des jumars, etc.., et nous terminerons l’histoire de l’âne par celle de ses propriétés et des usages auxquels nous pouvons l’employer. Comme les ânes sauvages sont inconnus dans ces climats, nous ne pouvons pas dire si leur chair est en effet bonne à manger ; mais ce qu’ il y a de sûr, c’est que celle des ânes domestiques est très-mauvaise, et plus mauvaise, plus dure, plus désagréablement insipide que celle du cheval. Galien dit même que c’est un aliment pernicieux et qui donne des maladies ; le lait d’ânesse au contraire est un remède éprouvé et spécifique pour certains maux, et l’usage de ce remède s’est conservé depuis les Grecs jusqu’à nous. Pour l’avoir de bonne qualité, il faut choisir une ânesse jeune, saine, bien en chair, qui ait mis bas depuis peu de temps, et qui n’ait pas été couverte depuis ; il faut lui ôter l’ânon qu’elle allaite, la tenir propre, la bien nourrir de foin, d’avoine, d’orge et d’herbes dont les qualités salutaires puissent influer sur la maladie ; avoir attention de ne pas refroidir le lait, et même ne le pas exposer à l’air, ce qui le gâterait en peu de temps. Les anciens attribuaient aussi beaucoup de vertus médicales au sang, à l’urine, etc.., de l’âne, et beaucoup d’autres qualités spécifiques à la cervelle, au cœur, au foie, etc.., de cet animal ; mais l’expérience a détruit, ou du moins n’a pas confirmé ce qu’ils nous en disent. Comme la peau de l’âne est très-dure et très-élastique, on l’emploie utilement à différents usages ; on en fait des cribles, des tambours, et de très-bons souliers ; on en fait du gros parchemin pour les tablettes de poche, que l’on enduit d’une couche légère de plâtre ; c’est aussi avec le cuir de l’âne que les orientaux font le sagri, que nous appelons chagrin. Il y a apparence que les os, comme la peau de cet animal, sont aussi plus durs que les os des autres animaux, puisque les anciens en faisaient des flûtes, et qu’ils les trouvaient plus sonnantes que tous les autres os. L’âne est peut-être de tous les animaux celui qui, relativement à son volume, peut porter les plus grands poids ; et comme il ne coûte presque rien à nourrir, et qu’il ne demande, pour ainsi dire, aucun soin, il est d’ une grande utilité à la campagne, au moulin, etc... Il peut aussi servir de monture ; toutes ses allures sont douces, et il bronche moins que le cheval ; on le met souvent à la charrue dans les pays où le terrain est léger, et son fumier est un excellent engrais pour les terres fortes et humides.